L’année 2025 est marquée par la commémoration du centenaire de la mort de Léon Bourgeois. Illustre prix Nobel de la Paix, l’ancien président du Conseil et président de l’Assemblée générale de la Société des Nations incarne l’esprit qui anime le droit républicain au tournant du XXe siècle. Ses propositions en faveur d’une conception solidariste du droit et de l’État ont connu un succès à partir de la publication de La solidarité en 1896. Le centenaire de la disparition de Léon Bourgeois peut servir de moment pour explorer scientifiquement et de manière critique les rapports entre le solidarisme de Léon Bourgeois – qui se distingue des autres courants se réclamant du solidarisme, notamment ceux de Charles Gide ou d’Émile Durkheim – et le système juridique.
La publication de La solidarité en 1896 s’inscrit dans un contexte électoral précis et une réflexion sur la ligne politique du Parti radical. Néanmoins, le petit ouvrage connaît un succès inattendu par l’auteur lui-même. Sans être une doctrine philosophique, ni-même un programme politique précis, le solidarisme de Bourgeois obtient une audience remarquable pour l’époque puis une crédibilité certaine à partir de l’imposante publication de Célestin Bouglé en 1907 : Le solidarisme. Appuyée sur une analyse organiciste et contractualiste, ainsi que fondée sur les concepts comme le quasi-contrat social, la dette sociale, la loi naturelle de solidarité, l’éducation sociale, le mutualisme, etc., la doctrine solidariste se fonde sur une analyse prétendue scientifique de la société. La formation juridique de Bourgeois se ressent toutefois dans les piliers de son solidarisme ; quasi-contrat, obligation in solidum, créance, sont autant des concepts juridiques employés par Bourgeois que des principes considérés comme « naturels » dans toute société. Les bases juridiques du solidarisme expliquent la facilité avec laquelle cette pensée a trouvé des traductions dans les mondes du droit.
Les usages plus ou moins fidèles du solidarisme de Léon Bourgeois ont été mis en lumière ces dernières années par la recherche historique et juridique. Au début du XXe siècle plusieurs disciplines juridiques ont tenté d’incorporer le solidarisme pour entraîner le droit républicain vers une nouvelle direction, à mi-chemin entre le libéralisme et le socialisme. Certains l’ont qualifié de « socialisation du droit ». Cette doctrine du « juste-milieu » fondée sur les sciences sociales émergentes de la fin du XIXe siècle a suscité des propositions fécondes chez de nombreux juristes. Une autre manière de voir la fiscalité, l’assistance sociale, la décentralisation, l’arbitrage ou encore le salariat se développe. À cet égard, la recherche a établi avec certitude que le droit social, le droit international ou le droit de la consommation ont vu des réceptions importantes, bien que plus ou moins déformées, des thèses de Bourgeois. Cependant, le phénomène de réception du solidarisme de Léon Bourgeois s’observe au-delà de ces pôles connus. Dans la plupart des matières juridiques – droit constitutionnel, droit pénal, droit administratif, droit civil, etc. –, on constate une réception des thèses solidaristes, tant au niveau de l’activité législative, que du juge ou de la doctrine. Le présent colloque entend donc explorer les différentes réceptions du solidarisme de Léon Bourgeois dans le système juridique français au début du XXe siècle.
En s’interrogeant sur les rapports entre le droit et le solidarisme de Léon Bourgeois, le présent colloque se propose d’étudier ses fondements juridiques, ses différents usages et réceptions dans la formation du « droit républicain » au début du XXe siècle, tout en questionnant les limites et la réalité d’une doctrine « bourgeoisienne » du solidarisme. Les usages actuels du solidarisme de Léon Bourgeois mériteraient également d’être interrogés.
Informations pratiques :
La journée d’études est co-organisée par le laboratoire Droit & Changement social de l’Université de Nantes – UMR CNRS 6297 – et le Centre Toulousain d’Histoire du droit et des idées politiques de l’Université Toulouse Capitole.